Vannerie m’a croquée. Je n’aurais jamais pensé être aussi comblée d’avoir fabriqué de mes mains
un panier.
Partir le pas mal assuré
sécateur en bandoulière
et à tâtons repérer les végétaux sauvages adéquats. Questionner, hésiter, se planter, se faufiler, se griffer, s’aventurer dans des talus pentus, oser enfin couper, s’enthousiasmer de trouver les ronces les plus longues et les plus grosses, en retirer soigneusement chaque épine, fendre l’immensité des tiges dans le sens de la longueur, surtout prendre soin de ne pas les casser mais
les casser quand même,
pester et recommencer.
Adopter la posture que l’on pense adaptée et gratter la chair à l’aide d’un opinel,
la gratter sans chichi sur le jean de la cuisse,
la gratter des heures demi centimètre après demi centimètre ça fait mal, évider la chair de la ronce ça fait mal, la transformer en poussière et découvrir le mot « éclisse »
et tout le fastidieux qui se cache derrière, les heures, les crampes, tout, ça fait mal et c’est bon. C’est bon d’éprouver les douleurs du geste répétitif dans les muscles dans les membres, les éprouver au coucher ne penser plus qu’aux éclisses couteau cuisse, reprendre les mêmes gestes le lendemain, les reprendre et raviver les émotions. Sélectionner des jeunes pousses de saule sans départ d’autres branches, voir dans la souplesse de la ligne, dans sa droiture la possibilité d’un arceau ou d’une anse, multiplier sans abuser, prélever sans dénaturer la quantité qu’on estime nécessaire pour l’ouvrage à réaliser, ne pas oublier de compter les ratés, les cassés, les il faut recommencer, encore recommencer,
encore recommencer.
Oser les jeunes pousses de noisetier,
plus robuste,
jauger avec les mains avec les genoux la flexibilité, travailler la fibre, ployer,
ployer sans casser,
casser,
recommencer,
assouplir et arrondir, mesurer ses émotions, ployer sans abîmer, tenter le cercle parfait,
échouer,
insister, ne pas réussir à rivaliser, finalement se laisser dompter par ce que le bois a décidé,
accepter l’imparfait, le tour du panier ne sera pas un cercle millimétré.
Et s’aventurer à nouveau, repérer le fou des herbes le fou des haies, tirer sur la longueur de la clématite, tirer sur des lianes sans fin qui s’engouffrent dans un tas de broussailles, tirer sans tomber, tirer sans arracher, couper à la base et en faire une pelote et une autre et encore une autre et peu importe si on entend craquer c’est l’écorce qui craque ici, ce qui nous importe c’est la liane du dedans,
elle est solide la liane du dedans.
Il en faudra des sacs de clématite alors il s’agit de couper encore, trouver, couper, enrouler dans la largeur de la main, empiler dans les sacs et faire bouillir longtemps, le temps que le geste se repose et que l’esprit passe à autre chose et puis reprendre le tour du panier, tenter à nouveau de l’arrondir, insister sur la anse en noisetier, toutes les deux les rassembler grâce aux éclisses de ronce, tisser un premier œil du vannier, le voir d’abord cligner, loucher, ciller, rater et recommencer,
rater et recommencer,
rater et recommencer, râler, lui non plus n’est pas parfait il faudra s’y faire et voir du charme dans l’imparfait, voir du charme dans l’imparfait,
le deuxième ne sera pas mieux mais il sera,
le deuxième œil du vannier renforcera la structure, le panier tiendra, sa anse et son tour tiendront, le regard de l’apprenti vannier s’en assurera c’est un fait. Des heures auront passé et seule la structure aura été amorcée, il faudra y ajouter les arceaux, biseauter les arceaux, assouplir les arceaux, couper les arceaux, penser la suite, stabiliser le panier, il faudra fixer les arceaux, les planter dans les yeux du vannier, prendre soin de ne pas les crever, il faudra là aussi de la patience, mesurer ses émotions,
se planter et recommencer,
se planter et recommencer,
accepter l’imparfait.
Et récupérer les lianes de clématite, une à une à la main au couteau avec les ongles les éplucher, sentir sous ses ongles la fibre de l’écorce qui est allée trop loin, éprouver éplucher, éprouver éplucher, les doigts travaillent, les mains travaillent, le dos travaille, le coeur à l’ouvrage, le sol jonché. Avec la clématite commencer à tisser le fond du panier, s’apercevoir que quand le nœud tombe sur le tour ou sur un arceau il risque de casser, oser espérer qu’il ne cède pas, oser espérer et pied de nez l’entendre craquer, voir ses efforts échouer,
pester, recommencer,
pester, recommencer, casser, râler, persévérer, espérer, casser et recommencer
et à moindre allure avancer et oser alterner, oser le saule au bord du parking, saisir un couteau boîte à gants, l’intégrer au panier ce saule que je ne connais pas, éprouver ses différences de flexibilité il ne réagit pas pareil il cède quand je l’angle il cède je mesure mes émotions me questionne est-ce une bonne idée je commençais à peine à comprendre de menus mystères de la clématite dans quelle posture inconfortable me suis-je aventurée ? Alors j’éprouve et le temps et le saule et mes mains et mes ongles et mon dos, j’éprouve les soirées télé grimaces faire passer la liane sous l’arceau puis sur l’arceau puis sous l’arceau, j’éprouve paupières lourdes ça ne sera pas encore ce soir que j’en verrai le bout c’est une longue traversée et enfin un soir je pose mes dernières pierres
je n’ose y croire c’est l’émotion je suis émue,
oui je suis émue d’avoir terminé mon panier je suis profondément fière de cet objet il contient tout dedans,
il contient tout
c’est mon premier panier je ne pense qu’à une chose c’est recommencer.
J’ai encore vanné. Tout un week-end pour un panier,
des brins, des femmes, osier,
mon ventre, ça tisse,
sécateur, panier.
J’ai vanné c’était intense, j’ai retrouvé.
L’immense des émotions. J’ai retrouvé les phases.
Observer et puis se questionner, avoir peur, poule devant couteau,
je ne comprends pas dès les premiers mots, c’est rapide, maîtrisé, très rapide,
je ne maîtrise rien c’est le fond du panier en premier, difficile
pour une entrée mais impossible d’y couper,
c’est par ici que commence la vannerie de ce panier-ci.
Un weekend pour être ensemble sans se connaître,
sept femmes et des parcours inconnus,
six femmes et une vannière, être ensemble pour un panier,
des doigts, sourires, des doigts gonflés d’allergies,
d’arthrite, une peau desséchée ça pique,
les doigts cornés de la vannière,
des doigts à l’unisson déterminés à observer.
Et des yeux pour écouter, écouter et se recentrer ça donne confiance,
s’inspirer de l’assurance que l’on devine dans les yeux de la vannière,
y puiser la confiance et choisir les brins, des brins d’osier,
avoir l’œil et sélectionner des diamètres équivalents,
plonger et douter de l’œil à un moment, abdiquer,
remonter à la surface, se lancer, confiance.
Les brins en croix il faut tourner, tourner et tisser
ce sera à droite tu es droitière, dans l’autre sens tu es gauchère
presque la moitié cette fois sont gauchères presque équité,
gauchère il s’agit donc de se projeter dans l’autre sens,
à l’extrême inverse se projeter,
les gestes en miroir pour un même tissage de panier,
et dans tous les cas gauchère
ou droitière
écarter régulier
ça devient soleil,
passer devant puis derrière ou inverser
j’ai déjà tout oublié,
seule reste l’importance de marquer pour chaque brin l’arrêt du geste,
là-dessus la vannière a insisté.
Nous avançons silencieuses, nous nous interrogeons, pestons un peu en dedans, le lâcher par la parole, le garder dans un soupir ou choisir de demander l’expertise de la vannière. Le fond du panier peut-être n’est pas assez serré alors il faut défaire et renouveler, brin après brin. J’ai là aussi déjà oublié si c’était la cime ou bien le pied en premier, ce dont je me souviens c’est à portée de main, la cime du brin c’est le bout fin, le pied c’est l’opposé la robustesse, c’est celui qui a grandi au plus près de la terre c’est le bout du brin de la résistance il ne ploie pas il coude si je m’obstine alors dois-je le couper, en découdre ou le laisser me maîtriser ? Nous en sommes seulement au fond du panier et déjà les profils diffèrent, c’est visible déjà sur ces simples fonds de panier, leurs tailles diffèrent et leur densité.
Ce sont nos mains, nos caractères,
ce sont nos parcours, nos brins d’osier,
ce sont nos forces qui diffèrent, nos regards et nos chemins,
le sien voit plus large, l’autre va plus serré,
là-bas c’est plus régulier, le mien peine il est plus lâche,
je constate que ma force passe par le ventre,
mon ventre est peu musclé il est immense et habité
mes abdos sont écartés,
nous sommes deux à vivre ce fond de panier j’y pose un poids de 2 kilos,
2 kilos c’est relatif, si je compare au poids de mon ventre c’est peu.
Mais que font deux kilos posés sur quelques brins d’osier enchevêtrés ?
Je me surprends aussi à me demander combien de kilos je porte au devant de moi,
combien pèse ce ventre
qui n’en finit
pas ?
La vannière nous propose de sélectionner d’autres brins d’osier,
envisager la régularité dans l’épaisseur,
pencher pour le orange ou le brun,
penser la longueur,
compter c’est facile mais je m’y reprends à plusieurs fois
il en faudra vingt-huit des brins,
au couteau je les épointerai
en prenant conscience de leur
courbure, le dos d’un côté
le ventre de l’autre
ça coule selon moi c’est parlant,
ces ventres-là ceux de l’osier ils me semblent bien peu bombés.
Les vingt-huit petits brins d’osier deviennent vingt-huit fléchettes acérées,
il s’agit maintenant de les planter de part et d’autre de façon à ce que les rayons du soleil s’étirent, s’étirent, euphorie teintée. A nouveau je vérifie que je ne vais pas où je voulais d’emblée aller, que c’est la matière qui décide pour moi et que je n’y résiste pas, le temps fait ses aléas et au fond ça me convient comme ça.
Vient ensuite la torche qui fait deviner la silhouette
du panier, la torche que je découvre
tout en me demandant pourquoi
elle porte ce nom, ce sera elle
qui viendra guider la forme
le moment est propice il s’agit de tout en même temps
gérer l’espace entre les montants
inciter les contours de l’ouvrage
maintenir l’ensemble de ses mains
anticiper la suite de son imagination
se laisser domestiquer
par la substance.
J’observe mon esprit partir en tous sens,
les doigts serrent, tirent, bloquent, écartent, ils restent déterminés,
ils restent inexpérimentés,
je veux mon panier évasé il n’est plus soleil,
il a maintenant l’apparence d’une mangeoire à oiseaux,
sans oiseau je trouve aussi que c’est beau la mue est en cours
j’y donne mon cœur
à l’ouvrage,
je sens aussi celui de mon enfant qui résonne on se donne,
je sens celui de toutes ces femmes
qui résonnent.
Les femmes s’apprivoisent
autour de l’ourdissage
puis du tissage,
certaines disent, d’autres sonnent,
d’autres le silence.
Si tu ne suis pas je te demande, si je ne suis pas tu me demandes,
on se montre ce qu’on a compris, patience la vannière trotte de brin en brin
elle finira par se pencher.
Les heures s’égrènent sans vraiment faire de pause,
seul le temps du déjeuner donne envie de lever les yeux du panier,
les opinels n’éboutent plus en flèche ils coupent
les tartes gâteaux fruits partagés sur la table,
les voix émanent des femmes elles parlent d’expériences de mises au monde,
autant de vécus et d’êtres différents, je crois que fabriquer de ses mains
c’est aussi une manière de mettre au monde.
Et montent les paniers, et la vannière passe
de femme en femme
elle court
de panier en devenir en panier en devenir,
et les conseils fusent chacune a son rythme
chacune a ses limites ses doigts ses petites victoires ses frustrations,
chacune a son sourire.
La clôture est un moment méditatif c’est vrai,
un moment plus accessible aussi
une partie du dur est passée,
cime, pied, cime, pied,
deux devant un derrière, brins d’osier,
coups de batte pour égaliser
resserrer,
on devine les traits de l’ouvrage comme ceux de l’enfant qui grandit,
quelque part l’enfant comme le panier
malgré eux
portent des airs de leurs parents,
un brin devant un brin derrière,
continuent de monter les paniers,
tournent les doigts
chantent les voix, cimes pieds brins et
à nouveau
la torche, deux devant un derrière,
penser pied à pied terminer la torche,
jouir de tout voir se confirmer, de voir ces femmes et ces paniers,
ces doigts, coups de battes qui claquent,
sursauts, rires, osciller encore
au rythme des feux qui me traversent,
être déçue de voir qu’il faut égaliser.
Mon panier n’est pas droit je dois le rattraper, coups de batte
c’est du bricolage c’est mon premier la vannière vient rafistoler,
il est inégal mon panier comme moi je suis inégale j’en ris,
je passe de déçue à fière mon panier est imparfait j’ai tout donné,
je me redresse malgré le poids de mon ventre
celui de l’enfant
celui de l’épuisement
le weekend est plus qu’avancé
comme mon ventre devant moi, et déjà
ou enfin
c’est l’heure de la bordure je suis vannée,
la fin approche je vire entre heureuse de terminer et triste
de finir.
Poinçon, plier, dompter l’osier qui sèche, dessus dessous l’ordre est primordial tout comme compter, il l’est moins au moment d’écrire, ça tombe bien je ne sais plus penser.
A cet instant donné c’est comme la fin d’une course
j’entends certains sourires ployer
d’autres muets ou essoufflés,
j’entends quand même aussi
battre les cœurs, vient le moment où on danse la anse.
La sous-anse est faite d’une branche de saule fraîchement ramassée,
mi mars c’est un peu limite
la montée de sève a commencé à opérer
certaines se sont cassées, limite
mais ça finit par passer.
La sous-anse il faut la flécher opinel
avant de la fixer, ensuite
la faire glisser le long d’un montant
loin des pieds
de la torche
c’est la règle, je vis
l’étape comme un tour de force
mon ventre
les mains
les doigts
sont fatigués
mon corps est
lessivé, je danse
autour de la sous-anse, onze brins
autour de ma sous-anse, cinq marrons six oranges
autour de ma sous-anse, les faire rouler
comme on danse, les faire rouler
ourdir
entrelacer, chacun leur place
les faire sortir du panier
sortir
entrer
s’entortiller
devenir anse, et je coupe
sécateur
ça tranche.
L’ouvrage est quasi
terminé
la vannière nous demande
d’éplucher, tout ce qui dépasse
je coupe je l’épluche,
mon panier est épluché c’est terminé,
mon panier est parfaitement
instable et
imparfait,
ce weekend j’ai encore tout donné j’ai encore vanné
c’est un fait,
sur la table on réunit les six paniers
les sept sourires et
on emmène
nos souvenirs.
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