Colza

Colza c’est le nom du personnage, c’est celle qui rentre pas dans les cases, campagne gersoise, parents engueulades, enfance questions, « il y a une police des choses bien et des choses mal ». Colza gratte l’épais de sa peau, Colza se révèle, « les femmes (…) c’est un appel de louve à chaque minute qui me transperce la chatte comme un épieu », maman déluge, maman liquide. Alors Colza porte son baluchon, iel explore et assume. A revers de la norme hétéro, sexiste et patriarcale, iel dans son plus simple appareil offre son bouquet d’expériences, dans ses fragilités comme dans ses écarts, toujours en recherche, la « gouinerie » au centre, l’amour au coeur.
Colza c’est donc le nom de ce magnifique bouquin, une lame en fond, une langue exigeante, exquise et râpeuse, pleine et déliée, droite dans l’épure, toute en minuscules. Ça sent la tripaille et la cyprine, j’adhère, je relis parce que cette écriture est intelligente et vient chercher en moi une petite musique qui m’émeut, c’est tout en minuscule je l’ai dit déjà, et pourtant ça résonne si grand.
Alice Baylac est auteurE et performeureuse, iel fricote avec la radio et se roule avec classe dans la poésie, ses projets valent vraiment le détour. Aux éditions Blast.

Connexion

Je dis « on » pour ne dire ni « il » ni « elle » puisque Kae Tempest n’aspire à s’étriquer dans aucune case. En anglais ce serait « they », ici c’est « on » et je ne suis pas habituée. Alors d’entrée je salue la personne, sa force et sa jeunesse, ce regard. On prend de la distance et ici réfléchit à ce qui fait lien entre on et les gens. On envoie les mots et en sent le retentissement. Les confinements nous assignent à vivre de rudoyantes épreuves, à ne se frotter plus qu’au crépis de nos murs et à oublier le salin de la sueur de l’autre, on profite de l’accalmie du tourbillon pour sonder sa réflexion sur l’apathie et la créativité, et on ne juge pas car on aime les gens et que les gens c’est complexe et que tout est question d’équilibre. On prône le partage de ce qui est créé, sa réflexion s’agrippe à mon dos, la connexion a lieu, à fond, entre l’esprit des profondeurs et l’esprit de ce temps de Jung. Aux éditions de l’Olivier.

La nuit infinie des mères

Son cri ressemble à un interminable gémissement, une plainte haute fréquence jusque là passée sous silence, au plus loin de nos ascendances. Une essentielle. On tait les nuits sans sommeil. On ne dit pas la traversée des envies noires, le choc des émotions contradictoires. Dans La nuit infinie des mères, Virginie Noar ose, brise, pose. Elle raconte les tréfonds d’une mère isolée, quand la supposée tranquillité nocturne métamorphose en guerrière harassée, quand la maternité n’a plus rien d’une idylle. Sa plume est vraie, ses mots illuminent autant qu’ils plongent. Ce qu’elle fait est nécessaire, ce livre en noir et gris est nécessaire, l’amour de la mère est inconditionnel, le pastel c’est pour le monde d’avant. Et que brillent les étoiles, et que vive la langue de Virginie Noar. Aux éditions François Bourin.

Le Grand Marin

C’est un choc dès la lecture de la première phrase. Le bras se prend dans l’engrenage, puis le corps tout entier. Ca secoue et c’est grisant de se trouver là, à la merci de la plume de Catherine Poulain, crue et tellement poétique. La petite française se confronte. Elle part pêcher la morue noire et le flétan en Alaska. Pendant dix ans, elle se mesure à une vie qu’on ne lui aurait pas choisie, serre les dents et ravale sa salive. Comme pour mieux éprouver ce bout du monde, elle s’enfile les cœurs encore battants de poissonnaille à l’agonie. Elle veut (se) démontrer qu’elle a sa place à bord, avec ceux qui endurent. A travers ce premier ouvrage, Poulain tacle avec classe l’idéal d’un monde meilleur tout en y cueillant son bonheur à elle, à grandes lampées de bière et de vodka. On se croirait dans les bouges de chez Jack London, ça braille et ça empeste l’alcool et le poisson. Dans le creux de mes draps j’admire, je me laisse bringuebaler par la rudesse de la mer, je tire mon chapeau à la femme. Et je garde, après coup, des odeurs, des saveurs, des images, des sensations. L’impression d’avoir vécu un grand voyage.

Fanny Stevenson

Un voyage à travers les océans et les continents, une épopée au cœur d’histoires d’amour incroyables, un périple dans les méandres du destin d’une femme, la découverte d’une époque, de divers milieux et d’étonnantes réalités. Voilà ce que m’a apporté la lecture de la biographie de Fanny Stevenson écrite par Alexandra Lapierre. A tel point que chaque soir, avant de partir lire dans mon lit, je prévenais : « je vais retrouver Fanny ». Je crois que c’est clair… Foncez! Et en plus vous apprendrez tout plein de choses sur l’idole d’un paquet de personnes, auteur de Dr Jekyll et Mister Hyde, L’Ile au Trésor et bien d’autres, Robert Louis Stevenson.

Kafka sur le rivage

Lire « Kafka sur le rivage », c’est un peu comme vivre un rêve éveillé, on s’imprègne d’un univers qu’on n’aurait pas osé imaginer. Murakami, par sa prose hypnotique, a l’art de nous rendre docile, à tel point qu’on accepte de se laisser délicieusement bercer dans un liquide amniotique constitué… d’autre chose. A condition d’être curieux. « Kafka sur le rivage », c’est un roman d’apprentissage, deux histoires de vie qui, à l’insu des personnages, se croisent et nous déroutent. On en ressort indemne mais plein de questions, de doutes métaphysiques. On s’en extrait, troublé, mais habité d’une énergie nouvelle, comme si l’on venait de mettre les pieds dans une sorte d’entre-deux.