Sa première question a été : « Qu’as-tu lu cet été ? ». J’ai pris ça comme une façon de se connecter, sa manière à elle de réentrer en contact avec mon moi du fond, après que huit semaines se soient immiscées entre nos couches de vies. Ce qui nous rassemble le plus c’est la littérature. Elle oiseau pépiant le jour, moi ogresse dévorant la nuit, on a pour point commun de sentir dans les mots une occasion de se réveiller de l’endormissement du monde. La littérature est à la fois un prisme pour mieux comprendre ce qui nous entoure, mais aussi une fenêtre ouverte sur le musée des rêves. Elle permet tout la littérature, palper de nos mains ce qui nous échappe comme regoûter à nos paysages d’enfance, elle nous habite, comme un prétexte pour sauver quelque chose du temps où l’on ne sera plus, pour donner de l’éclat à ce que l’on perçoit, satisfaire notre public intérieur toujours plus avide de nouvelles histoires.
Entre chien et loup, lorsque nos vies s’échangent et nos bouches se croisent, il nous arrive de disserter autour de ce que représente pour nous l’usage des mots, nous faisons des tentatives de définition de la poésie, osons des plaidoyers pour ou contre, nous insurgeons parfois en brandissant des « la poésie ça ne sert à rien, au fond », avant de se rappeler à quel point la puissance d’un texte peut dire une situation d’insoumission. Parce que c’est ça aussi la littérature, c’est bondir d’un coin de rue crasseux pour égorger l’autorité, c’est se tenir prêt dans n’importe quelle situation à dénoncer au cas où l’on serait privé de paroles, c’est un geste d’insoumission que d’écrire, c’est se permettre de peindre le portrait d’une personne à travers ses gestes sans être inquiété, ou le faire avec amour parce qu’un jour, cette personne, cet être humain il m’a offert ce geste de me tendre un miroir et de me forcer à me regarder en face, et que son geste il a initié chez moi une houle qui ne m’a jamais quittée, une berceuse tanguante qui m’a sortie de mon cocon ciré, un remous bien particulier que certains reconnaissent aujourd’hui comme « le mouvement de son écriture », un pont suspendu entre moi et le monde, une vidéo en stop motion de moi dans le monde, et la permission de voguer d’une rive à l’autre, d’opérer un balancement entre deux mondes, entre deux moi.
Quand nous parlons ensemble je comprends que nos visions se recoupent : écrire c’est partager ce qui me manque et vivre avec ce qui me hante, mettre en bouche, en ondes et en mots c’est considérer de plus près l’art des sons et l’écriture comme instrument de musique, c’est reconnaître ce qui ne s’entend pas, c’est suggérer des « nous sommes en l’air » parce que quand on écrit on n’atterrit pas, on court sur les murs, on dort au plafond, on ne touche plus le sol et on regarde dehors, de chaque pièce on regarde à l’extérieur et on dresse des tableaux des quatre fenêtres sur la rue, la montagne, la misère, les tréfonds de notre âme ou la cour d’un voisin, et on se dit que finalement rien c’est déjà beaucoup, de la matière il y en a partout autour et dedans nous, parce que nous sommes des immeubles et que tout est point de suspension…
Alors quand elle m’a demandé ce que j’avais lu cet été, je lui ai tout raconté, les livres commencés et les instants déçus, les mots qui m’avaient blessée et les cœurs que j’avais vu perdus, j’ai brodé des paroles avec des mots, j’ai fait ce que j’ai pu avec les fils qu’on m’avait tendus.

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